La leçon de la rue Lebeau
Le permis d’urbanisme autorisant la rénovation, mais aussi la démolition pour une partie, du grand ilot situé entre les rues Lebeau, de la Paille et de Ruysbroeck, appartenant précédemment à Proximus, a été délivré par la Région.
Après des années et deux enquêtes publiques, le moins qu’on puisse écrire est que ce dossier complexe a soulevé les passions … et que le résultat satisfait peu les riverains et amoureux du quartier du Sablon.
Un recours devant le Conseil d’État a été introduit par certaines associations riveraines mais, sans attendre, la démolition d’un immeuble de la rue Lebeau a été immédiatement entamée.
Occasions manquées
Le « projet Lebeau » a trouvé place dans un important ilot triangulaire du centre de Bruxelles, en contre-bas du Grand Sablon et délimité par les rues Lebeau, de la Paille et de Ruysbroeck. Idéalement situé entre la Grand Place et le Sablon, cet ilot a connu plusieurs vies, abritant notamment le couvent des Jésuites devenu plus tard Palais de Justice, et a été modelé ai 19ème siècle par la construction de la rue Lebeau à l’élégant tracé en courbes. Sa dernière vie a été marquée par la construction successive de plusieurs bâtiments de la Régie des Télégraphes et Téléphones devenue aujourd’hui Proximus. Face à l’alignement de maisons bourgeoises typiques de Bruxelles, s’est élevé, en plusieurs phases durant les années ‘70, un bâtiment à l’architecture plus proche de celle du Boulevard de l’Empereur que de celle du Sablon. Le groupe immobilier Immobel a ensuite acquis l’entièreté de ce grand ilot.
© Photo Projet Immobel
Le projet initial d’Immobel prévoyait la démolition des trois quarts de l’îlot et la construction de trois tours de 13 à 15 étages avec 400 parkings.
Le combat des associations réunies dans ce combat contre ce projet écrasant n’aura pas été vain. Immobel a été contraint de revoir sa copie.
Aujourd’hui seul un quart de l’îlot sera démoli. Tous les immeubles de la rue de la Paille seront préservés. Le projet ne comprend plus de tours. Le parking a été réduit à 160 places et le projet ne comprend plus de flat-hôtel sur la place de la Justice.
Mais la démolition accordée pour l’immeuble de la rue Lebeau dont le maintien était défendu par la Commission Royale des Monuments et Sites et la part beaucoup trop importante de bureaux dans l’ensemble du projet (75% du programme) ne sont pas des points positifs.
Le gabarit de l’immeuble qui sera reconstruit rue Lebeau reste excessif et son architecture issue d’un concours organisé par le Maître-Architecte, peut être considérée comme totalement inadaptée au quartier historique du Sablon.
Les pouvoirs publics, Ville et Région, avaient pourtant une occasion rare d’encourager un projet de qualité sur un ilot aussi vaste à un endroit aussi crucial entre le Sablon et la Grand Place.
Pourquoi la situation exceptionnelle de l’ilot Lebeau exigeait-elle une attention particulière de la part des autorités publiques ?
- Il est extrêmement rare qu’un projet puisse se développer sur une telle superficie dans le centre de Bruxelles ;
- L’ilot Lebeau se trouve à la jonction de deux quartiers historiques, celui du Sablon et celui de la Grand Place ;
- Sa réhabilitation permettait de réparer localement les dégâts causés par la Jonction Nord-Midi ;
- La Ville disposait d’une occasion rare d’y réimplanter massivement du logement dans un quartier fragile à cet égard ;
Immobel a joué son rôle de monteur et de metteur en œuvre de projet qui doit en répondre, notamment financièrement, devant son conseil d’administration. Ce rôle est connu de chacun.
De leur côté, les rôles de la Ville et celui de la Région sont de définir le plus clairement possible les règles de développement de la ville.
Or la Ville et la Région ont limité leur intervention à celui d’accompagner le projet d’un promoteur immobilier. En effet, elles ont suivi le promoteur dans le concours d’architecture en acceptant les conditions de celui-ci en termes d’affectation et de gabarit, sous la houlette du Maître-Architecte qui a ainsi manqué à sa mission de guider un projet de ville adapté au bon aménagement des lieux.
Le PPAS, meilleur outil urbanistique de la Ville.
Le bon outil qui aurait dû être utilisé est le PPAS (Plan Particulier d’Affectation du Sol). Initié par la commune, il détermine les affectations et règle le mode d’utilisation du sol. Il permet de cadrer le développement urbanistique d’un périmètre précis. Et il permet aux riverains, bien en amont de tout projet immobilier, de faire connaître leur avis sur l’avenir de leur quartier.
La Ville vient d’ailleurs de l’utiliser rapidement pour permettre l’installation d’un hôtel place du Grand Sablon. Pourquoi un PPAS n’a-t-il pas été réalisé sur l’ilot Lebeau ? Un PPAS aurait défini les hauteurs, les emprises en intérieur d’ilot, les affectations telles que le logement, le commerce, les bureaux, le ombres d’emplacement de stationnement, … Ceci aurait fait gagner du temps à tout le monde et aurait permis un bon dialogue, dès l’origine du projet, avec les habitants et les associations. À la suite de ceci, et seulement après, un concours d’architecture aurait pu être organisé.
Un PPAS sur l’îlot Lebeau aurait aussi été l’occasion de prescrire réglementairement la disparition à terme de l’horrible « bloc Proximus » construit dans le bas de la rue Ruysbroeck, la revitalisation de la place de la Justice ainsi qu’une liaison entre le quartier du Sablon et le Mont des Arts via les jardins de la KBR.